Des logiques géographiques et historiques

Intervention de Pierre PINON
Historien

Je commencerai par un court rappel historique, non pas par rituel, mais parce que la situa- tion historique actuelle des architectes dans l’administration ne peut pas se comprendre si on ne remonte pas à un passé relativement lointain. La situation des architectes actuellement dans l’administration, il faut bien l’avouer, est relativement faible, ce n’est même pas un mystère, c’est une évidence. Ca n’a pas toujours été le cas.

Si l’on remonte au début de l’administration française moderne, c’est-à-dire au début du 19° siècle, on s’aperçoit que les architectes dans l’administration et, en général, dans la production architecturale ou dans l’aménagement urbain, avaient une position tout à fait dominante aussi bien parce qu’il y avait des architectes à l’échelle des départements qui construisaient les édifices départementaux, des architectes communaux à l’échelle commu- nale et ainsi de suite, mais surtout parce qu’il y avait le Conseil des Bâtiments Civils dont je voudrais parler un peu.

C’était donc une instance de contrôle de tous les projets publics financés sur des crédits publics pour l’ensemble du territoire, c’est-à-dire du ministère jusqu’au lavoir de village, absolument tous les projets. Ce Conseil des Bâtiments Civils était composé d’architectes de bon niveau, très souvent de jeunes grands prix d’architecture, retour de la villa Medicis qui étaient nommés auditeurs, et ensuite certains de leurs aînés qui avaient obtenu des grandes commandes et qui en assuraient la présidence.

Donc, il s’agissait d’un contrôle collectif par un ensemble d’une quinzaine d’architectes qui étaient renouvelés régulièrement et qui donc étaient, en général, des professionnels confirmés. Ce système a extrêment bien fonctionné jusqu’au milieu du 19° siècle. Pour différentes raisons, il a assez largement a échoué par la faute des architectes. Les architectes se sont investis davantage dans un statut libéral et dans une fonction prédominante d’artistes , tandis qu’ils témoignaient un dégoût profond pour la fonction publique et le service de l’Etat.Et je pense que les architectes le paient encore aujourd’hui.

Il est sorti de la fin du système du Conseil des Bâtiments Civils, un système que j’appellerais de confinement et de solitude. Les architectes se sont trouvés confinés dans l’administration, j’entends bien, dans des fonctions relativement marginales, les palais nationaux évidemment, ce sont les BCPN, les monuments historiques, les architectes ordinaires, et les architectes en chef des monuments historiques, mais tout le reste en terme administratif leur a très largement échappé. Donc, ça c’est le confinement dans des marges.

Les architectes de l’administration se sont retrouvés face à leurs responsabilités, seuls. Je pense qu’ils le sont encore. Quand un ABF doit donner un avis conforme, c’est sa responsabilité personnelle, même si il peut en discuter, même si il peut consulter, il n’y a plus ce fonctionnement qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de collégial, qui était celui du Conseil des Bâtiments Civils, qui était national au début du 19° siècle, que l’on pourrait aujourd’hui évidemment imaginer à des échelons locaux différents. Il y a eu une tentative de vouloir restaurer un peu ce système qui était l’idée d’ateliers collectifs qui était apparu au début des années 80 et qui n’a connu aucun succès.

Ce système a été plus ou moins remplacé à partir du milieu du 19° siècle par le système des concours. Finalement, c’est le système des concours qui a pris la place de ce système de conseils dans la mesure où il n’y avait plus les commandes qui étaient passées directement, et contrôlées, la disparition du contrôle a été remplacé par une forme de démocratisation: par le concours. Ce n’est pas un hasard si Charles GARNIER qui a gagné un des grands concours du 19° siècle, l’Opéra, a été le champion de cette vision artistique et libérale de la profession. Et je pense donc que nous sommes toujours dans cette période de confinement et de solitude. Le concours est lui-même un exercice éminemment solitaire.

Une approche culturelle

La deuxième courte partie de mon exposé sera plus personnelle et portera davantage sur des convictions, il sera peut-être plus banal aussi. Je pense d’abord aux Architectes des Bâtiments de France qui peuvent être là pour assurer ce que j’appellerais la présence des logiques géographiques et historiques dans l’aménagement face à des décisions qui sont liées à des objectifs uniquement techniques. C’est tout à fait banal de dire ça, je le sais bien, mais c’est une conviction profonde parce que si ce ne sont pas les architectes qui l’assument, je ne vois pas bien qui l’assumera. Et pour cette approche, qu’on pourrait qualifier de culturelle, qui est tout à fait banale elle aussi, puisse être entendue, il faut qu’elle soit argumentée. Il faut que la personne qui prend ce genre de décisions ne l’impose pas sans l’argumenter ; il faut passer, là aussi, du discours à la réalité. Je pense que sur ce plan, on me suggérait de parler de la formation, je pense que des efforts viennent d’être faits et qu’ils sont à amplifier et à poursuivre. Alors, il faut que les architectes de la fonction publique soient capables d’assurer un certain nombre de rôles, de l’argumenter et
aussi, je dirais, d’assumer, pour conclure, la fonction nécessaire de protection.

J’ai lu dans un des papiers d’introduction une petite citation de LE COUEDIC où l’on rappelait qu’il ne fallait pas figer les villes. Je ne partage pas du tout ce point de vue et je pense qu’à la limite il faut oser quelques fois aller jusque là. Il y a aujourd’hui un discours dominant contre la ville-musée tenu assez souvent par des intellectuels et qui est un discours que je considère comme hypocrite -je n’ai pas le temps d’expliquer pourquoi- mais je considère que c’est un discours hypocrite et que le passéisme et la nostalgie ne sont pas des attitudes qui sont plus égoïstes que d’autres. Je n’ai pas le temps d’argumenter davantage malheureusement, donc je m’arrêterai là.

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